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Fêtes masquées et esprits chassés : Carnaval, un rituel ancestral contre l’hiver

Fêtes masquées et esprits chassés : Carnaval, un rituel ancestral contre l’hiver
Alors que février avance et que les journées s’allongent timidement, une explosion de couleurs envahit les villes et les campagnes : le Carnaval. Derrière ses festivités joyeuses, ses costumes bariolés et ses mascarades nocturnes, cette tradition plonge ses racines dans des rites bien plus anciens, où le masque jouait un rôle essentiel dans la lutte contre l’hiver et ses esprits malveillants.

I. Un héritage païen devenu chrétien
Bien avant de devenir une célébration chrétienne, le Carnaval puisait son essence dans les grandes fêtes antiques marquant le renouveau printanier : le Sham El-Nessim égyptien, les Dionysies grecques, les Saturnales romaines, ou encore Imbolc chez les Celtes. Toutes partageaient un même objectif : exorciser l’hiver par des rites joyeux et appeler le retour de la lumière et de la fertilité.
Avec la christianisation, ces fêtes furent intégrées au calendrier religieux, et le Carnaval devint une période d’excès avant le Carême. Le port du masque, garant d’anonymat et d’inversion des rôles sociaux, permit aux populations de s’affranchir des normes le temps d’une journée festive.
II. Les masques effrayants de l’ancien monde
Le masque est au cœur du Carnaval, mais son rôle dépassait autrefois le simple divertissement. Dans toute l’Europe, des traditions ancestrales l’utilisaient pour chasser les esprits hivernaux et purifier la communauté avant le retour du printemps.
En Europe centrale, la figure de Krampus incarne cette croyance. Ce démon cornu, compagnon de Saint-Nicolas dans les Alpes autrichiennes et bavaroises, était censé punir les enfants turbulents. Lors des Krampusläufe, des hommes masqués défilent avec des costumes en fourrure, agitant chaînes et cloches pour éloigner les mauvais esprits.
En Hongrie, le Busójárás de Mohács voit les habitants arborer des masques grimaçants en bois pour effrayer les démons de l’hiver.
En Roumanie, les mascarades de fin d’année sont marquées par des masques grotesques et des costumes en fourrure. Le Jocul Caprei (Jeu de la Chèvre), notamment, met en scène des figures mi-humaines mi-animales, symbolisant la mort et la renaissance.
En Bulgarie, la tradition des Kukeri reprend le même principe : des hommes en fourrures de chèvre ou de mouton, portant des masques effrayants ornés de cornes et de longues moustaches, paradent bruyamment avec des cloches pour éloigner le mal.

En Suisse, les coutumes masquées se retrouvent notamment dans le Silvesterklausen d’Appenzell. Le 31 décembre et le 13 janvier, des Silvesterkläuse sillonnent les villages en costumes élaborés : les “Beaux” (Schöne), aux coiffes richement décorées, les “Vilains” (Wüeschte), recouverts de mousse et de brindilles, et les “Beaux-Vilains” (Schö-Wüeschte), mélange des deux. Dans le Lötschental, les Tschäggättä, figures masquées en bois vêtues de peaux de bêtes, surgissent en février pour effrayer les passants et purifier les âmes.

III. Venise : du masque festif au masque de peste
Le Carnaval de Venise, l’un des plus célèbres au monde, a fait du masque son emblème. La Bauta, masque blanc dissimulant l’identité tout en permettant de parler et boire, et la Moretta, petit masque noir rendant son porteur silencieux, étaient autrefois synonymes d’anonymat et de liberté sociale.
Mais l’un des masques les plus emblématiques de Venise, le Medico della Peste, a une origine plus sombre. Conçu au XVIIe siècle par le médecin Charles de Lorme, il était porté par les médecins soignant la peste. Son long bec contenait des herbes aromatiques censées filtrer l’air vicié et protéger de la maladie. Intégré plus tard aux festivités vénitiennes, il est devenu un symbole carnavalesque, transformant une relique de peur en un élément de spectacle.
Une tradition toujours vivante
Aujourd’hui, même si la portée mystique de ces rituels s’est atténuée, le Carnaval perpétue un héritage ancestral. Se déguiser, porter un masque, inverser les normes sociales… Autant de pratiques qui résonnent encore avec les croyances de nos ancêtres.
Derrière chaque masque, chaque costume coloré, se cache l’écho lointain des rituels du passé, où l’homme, à travers la fête, cherchait à conjurer les rigueurs de l’hiver et à célébrer le retour du printemps. Alors, la prochaine fois que vous croiserez un masque effrayant dans un défilé, souvenez-vous qu’il est bien plus qu’un simple accessoire : il est l’héritier moderne d’une tradition séculaire visant à dompter l’hiver et ses ténèbres.